
Présentation :
De 2000 à 2011, les années qui préparent les événements tragiques de la place Al Tahrir puis la chute du président Moubarak.
Un récit de vie au coeur de la société égyptienne, de ses drames et de ses déchirements, dont le 11 septembre 2001 et ses conséquences réveilleront les démons.
L'auteur rapporte ici de nombreuses anecdotes de la vie de tous les jours au Caire et à Ismaïlia, la ville natale de Claude François, fondée par Ferdinand de Lesseps. Son expérience et ses responsabilités font de ce livre un document rare.
Une expérience de vie dans un pays complexe et attachant, et un témoignage qui interpelle en mêlant humour et nostalgie.
EXTRAIT
C’est avec une certaine appréhension que j’arrive devant l’immeuble de la sécurité générale une vingtaine de minutes avant l’heure prévue. Il fait nuit, les éclairages sont plus que discrets et ce bâtiment aux fenêtres noires et hérissé d’antennes a de quoi donner la chair de poule. Seules deux ou trois fenêtres dispensent une timide lumière jaunâtre. Gomaa gare la voiture devant une entrée, la seule visible. J’en descends, suivi comme mon ombre par un Hescham qui semble encore plus intimidé que moi. Il regarde deux fenêtres qui émergent à peine du sol, fentes incongrues et vaguement éclairées, et me les désigne comme des salles de torture. Je hausse les épaules. S’il savait réellement de quoi il s’agit il ne serait probablement ni aussi gras ni encore disposé à en parler.
Deux plantons armés de mitraillettes nous accueillent. Après palabres ils nous entraînent au deuxième étage, le long d’un couloir aussi sombre que désert. Je me détends, on ne torture jamais en étage : le sang qui coule, tout ça… Je réfrène difficilement un sourire. Si je m’en sors je deviendrai auteur de polars. Noirs et cyniques, j’ai l’imagination pour ça.
La porte arbore une superbe plaque de cuivre gravée en arabe, sans doute le nom du général qui tient tellement à faire ma connaissance.
L’homme est en uniforme. Un drapeau égyptien trône dans un angle de la pièce. Il fait signe à ses hommes de me faire asseoir et de repartir avec Hescham. C’est à peine s’il a levé le nez du dossier posé sur son bureau. Derrière lui, une bibliothèque pleine de dossiers dont les documents tentent de s’échapper. Sur le bureau des gadgets en cuivre et en bois, un petit ballon de football monté sur un socle de marbre. Peut-être un trophée gagné dans sa jeunesse.
La porte s’est à peine refermée qu’il se lève, fait le tour du bureau et vient me serrer la main. Je grimace un sourire contraint. Il prend la chaise voisine, s’assied face à moi comme si de rien n’était, et se présente. Son anglais est parfait.
Surpris, je tente de reprendre pied. La situation n’a rien à voir avec ce que m’avaient laissé entrevoir mes employés égyptiens, mais la prudence me rappelle que je ne suis certainement pas ici par hasard. Nous sommes dans une zone portuaire hautement stratégique pour le pays et je me demande soudain si personne ne se livre à des trafics illicites sur notre chantier de Suez.
Après une vingtaine de minutes nous en sommes toujours aux conversations de salon, la France, l’Europe, la littérature, lorsque le sujet évolue vers le football. Cette fois c’est l’enthousiasme qui prédomine chez mon interlocuteur. C’est un passionné de football et un fan inconditionnel de Zizou, notre Zidane national. Tout y passe, de la coupe du monde 1998 à l’Euro 2000 et à la coupe du monde de 2002 qu’il nous voit déjà gagner haut la main. Heureusement, j’ai bien suivi les matches de 98 et je peux affabuler un peu, histoire d’être dans les petits papiers de cet homme qui peut convoquer n’importe qui à Suez à 10 heures du soir pour parler football.
Un peu après 23 heures, alors que je songe à Hescham et à Gomaa qui doivent se morfondre en espérant mon retour, le général se décide, comme à regret, à regagner l’autre côté de son bureau. Il saisit son dossier, me regarde et me demande :
- Éditions Complicités
- 26-9-2017
- 292 pages
- Broché - 18€